Article de Frédérique Danse in Azart, le magazine international de la peinture. N° 21, juillet-août 2006.
LIVRES D’ARTISTES ET DE BIBLIOPHILIE : NOIRS D’IVOIRE
Anne Mandorla / Pierre-Marc Levergeois - Éditions L’Oeil pour l’Oeil
Par un incessant questionnement du passé, à la recherche de signes et d’indices émergents, la peinture d’Anne Mandorla nous donne des moments de méditation à nul autre pareils. Plongée dans les ténèbres, remontée vers la lumière, la couleur prend toute son intensité en accompagnant chaque geste d’un élan instinctif. Mélanges insolites et réfléchis posés, sourds et cependant vivants, voici les trois couleurs primaires réunies en trichromie où les noirs s’entrechoquent : noirs d’encre, de fumée, de vigne, d’ivoire calciné… Etat primitif qui jamais ne nous quittera, lignes d’horizons dont s’échappent d’autres horizons, plus lointains, plus anciens… Et voilà la pierre noire, pour que la matière soit belle, nous appelle, nous parle, enfin ! Noirs d’Ivoire par son existence - sa présence même - entraîne dans son histoire. Ne pas penser, juste regarder. Puis faire face et ressentir. Univers contrastés, choc des époques, chaos savamment orchestré, replié, enfoui, endormi peut-être dans cette châsse métallique où deux livrets cruciformels se sont glissés… C’est le fruit d’une réflexion où le lecteur sera acteur : comme un jeu, déplier la croix, et comprendre qu’il s’agit ici, loin des symboles religieux, de croisée de chemins, croisée de destins… Parmi les ruines évanescentes, l’artiste met en scène comme guides de lecture picturale les mots de Pierre-Marc Levergeois.
Si la vie se souvient de cette période lointaine, si les histoires se croisent elles aussi d’une image à l’autre, chacun trouve sa propre voie et s’accomplit dans cette traversée du temps, lorsqu’hier était déjà demain. Pour tout dire en deux livrets, deux époques, deux vies, deux temps, pour que couleur et valeur, ombre et lumière, noir et blanc, clair et obscur rappellent que nous ne sommes que poussière dans l’univers et que notre salut se résume à notre compréhension des choses. Au cœur des strates, des entrailles de la terre aux édifices éboulés s’élevant à sa surface, du nadir au zenith, se devine une vie, la vie. Tout simplement.