TEXTE DE PATRICK BRETON
PEINTURES D’ ANNE MANDORLA
EDITION L’OEIL POUR L’OEIL
Présentation de l’ouvrage
Le texte interroge ici dix-neuf peintures sur papier chargées de strates matièrées - telles les macules encrées de l’ imprimeur ; les contours et le fond , au départ nets et structurés , se délitent au fil du dépliement / déploiement des pages pour approcher l’ évanescent . Le livret de 11 x 16 cm. est constitué de trois feuillets de papier Rives Tradition pliés en volets et agrafés en leur milieu sur une couverture cartonnée à rabat. Un exemplaire est déposé à la Bibliothèque Nationale de France.
Ce livre est disponible sur commande auprès d’Anne Mandorla au prix de 30 euros + frais de port. CONTACT par message privé sur instagram ou facebook.
Texte de Patrick BRETON
Partir d’un monde qui semble aller de soi, savamment ordonné en formes et figures, images presque raisonnables, quoique tenues à bonne distance. Et, peut-être parce que tout porte naturellement à l’horreur du chaos, prendre ici la mesure et le risque d’un vertige qui conduit à reculons au bord du gouffre originel. C’est un peu comme si, bousculant une foule hostile, le peintre prenait à revers le chemin de l’Histoire. Comme si, quittant les traces de toute mémoire humaine - les trésors enfouis de l’antique Palmyre - il tentait de remonter le souterrain étroit jusque là où toute matière s’est ruée, bien avant que le verbe ne nommât bêtes et plantes… Or, à mesure que s’accomplit ce rituel aux origines, que la rigueur orthogonale du cadre se délite, que contours et figures s’amollissent, que semble se restreindre le champ ouvert à l’oeil, peu à peu se révèle le mystère qu’interroge le peintre, un simulacre d’univers : infini, minuscule, selon la distance et le voeu du regard. Nulle vérité à en attendre, nulle mystique à la clé. Il faut alors tout le courage de l’invisible, sans céder à l’illusion de dévoiler ni la nature ni les dieux qui l’habitent. L’orgueil du créateur est à ce prix, à tâtons dans le Noir. Création à rebours, donc. De la lumière au limon brut. Au commencement, un feu cristallin divise l’image en plans nets, solide ardoise où l’homme n’est qu’une ombre d’argile à peine ébauchée, et encore. Et puis toute silhouette s’évanouit au seuil d’un monde qui nous ignore, un monde d’onyx et de boue où se dégagent à grand peine terres et eaux, et que n’ordonne pas encore le grand phare apollinien. Là, les bleus et les ors dorment encore dans leur carapace, dans leur urne bifide qui semble retenir toute la beauté du monde. C’est peut-être pour s’en défaire, pour s’en déjouer, pour en secouer la torpeur limpide que le peintre brouille ses propres pistes, invente des rituels de mise à nu, explore la cave au soupirail étroit où remuent les humeurs primitives. Mais jusqu’au bout brille un feu blanc qui, même au plus sombre, au plus informe, aveugle encore la ténèbre. Au hasard du papier surgit l’indicible, un travail de poète à proprement parler, le souffle même de la matière : plume et pierre, nuit et ors, étoiles et corps, grottes et nébuleuses… Déjà le rectangle s’affaisse en trapèze, trouve des formes qui lui sont propres, se recompose en carré vague, laisse gagner la part d’ombre aux bords déchiquetés d’une peau de chagrin . L’oeil peut alors se perdre en liberté : à tout moment l’image invente et fait sa loi. Il n’y a rien à reconnaitre. Se laisser seulement aller aux transparences, aux combats, aux ombres portées, aux éclats, à l’obscur à peine étoilé, au feu pâle qui le troue, aux yeux de pierre crue, aux clartés de galaxie, à tout ce qui, faisant mystère, ouvre de minuscules fenêtres sur des au-delà dont personne, pas même l’esprit du peintre peut-être, ne voulait.
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Lire l’article de Marie-Françoise QUIGNARD, conservatrice des livres rares à la Bibliothèque Nationale de France, in NOUVELLES DE L’ ESTAMPE. N°166 oct.-nov. 1999 :
”LIVRES ILLUSTRÉS , LIVRES D’ARTISTES ET AUTRES … ENTRÉS A LA RÉSERVE DES LIVRES RARES A LA BIBLIOTHèQUE NATIONALE DE FRANCE".
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